CUBAS (environs de MADRID)
1449
NOTRE-DAME DE LA CROIX

En 1449, la Castille est dans la tourmente des guerres entre princes dont le peuple fait les frais par de nombreux morts et captifs. Le tout sur fond de Reconquista : Isabelle la Catholique ne montera sur le trône qu'en 1474. Le petit village de Cubas avait alors pour maire Luis de la Cerda ; l'église Saint-Andrés était servi par deux prêtres.
Ce lundi 3 mars 1449, Inés, douze ans, gardait les cochons de son père Alfonso Martinez, au lieu-dit Fonte Cécile. Leur famille était la plus pauvre du village. Voici que «vers midi» , une dame «très magnifique» surgit, resplendissante dans ses «linges d'ors» , qui lui dit en castillan d'alors :
- Que fais-tu ici, fille?
- Je garde les cochons.
- Pourquoi jeûnes-tu les jours de Sainte Marie, le vendredi?
- Parce que mes parents me le commandent.
- Tu fais bien, mais tu auras peu à jeû ner cette année. Jeûne les jours de la fête de Sainte-Marie (aux Vigiles), car qui le fait gagne 80000 ans de pardon. (A-t-elle bien entendu ?)
Je t'ordonne de dire à tous de se confesser, d'élever et de fortifier leurs âmes qu'ils sachent que vient une grande pestilence de douleur au côté et de pierres de gale entourées de sang dont beaucoup mourront.
- Est-ce que mon père, ma mère ou moi allons mourir de cette pestilence ?
- Il en sera comme Dieu le voudra.
Puis la « Dame disparut » selon les termes rapportés dans les déclarations sous serment recueillies par le chapelain d'alors. La pauvreté n'empêchait pas la famille ni l'enfant d'être très pieux confession dès l'âge de six ans, Rosaire en gardant les bêtes, Vigiles des saints dès l'âge de quatre ans. Pourtant, l'apparition de la Dame «svelte, très magnifique» à la voix « suave » fait peur à l'enfant. Continuant son travail, elle récite le Rosaire tout entier; mais craignant les remarques, la fillette n'en parlera à personne. Le mardi 4, nouvelle sortie avec les mêmes compagnons, vers le ruisseau de Torrejon cette fois-ci. A la même heure « vers midi », même apparition de la Dame:
- Fille, pourquoi n'as-tu pas dit ce que je t'ai ordonné de répéter hier?
- Je n'ai pas osé, de peur de n'être pas crue.
- Je t'ordonne de le dire et s'ils ne te croient pas, je te donnerai un signe pour qu'ils te croient.
- Mais qui êtes-vous ma Dame?
- Je ne le dirai pas à présent.
Cette fois-ci Inés raconte le fait à ses parents... qui lui répondent qu'elle ment et lui enjoignent de se taire. Le vendredi 7, c'est au lieu-dit Prado nuevo (Nouveau Pré) que la fillette, à jeun, emmène ses cochons. Toujours à la même heure la Dame revient, aussi magnifiquement parée:
- Fille, as-tu dit ce que je t'ai commandé?
- Oui, ma Dame, à mes parents et à d'autres.
- Tu dois le dire au prêtre et à tous, sans peur ni crainte.
De retour à la maison, Inés répète. Son père maintient : « Tais-toi donc, fille, tu mens. » Sa mère pourtant l'encourage : « Eh bien dis-le, ma fille ! » La nouvelle se répand. Le dimanche 9 mars, le chapelain, Juan Gonzalez, s'en vient accompagné de quelques hommes chez les parents d'Inés Martinez. Après l'avoir écoutée, le clerc commande à la fillette : « Vas-y et si tu revois cette Dame, demande-lui un signe pour que nous croyions.» Puis il part célébrer sa messe. Accompagnée de son père et de son frère, Inés, toujours avec les cochons, prend la direction de La Ciroleda (Le Lieu des cerises). Laissant son frère garder les bêtes, elle s'agenouille, tête contre sol, emplie de crainte, demandant avec anxiété à la Dame de se montrer. Tout le village attend! Voici qu'Elle vient, « vers midi ».
- Lève-toi, fille, n'aies pas peur.
- Qui êtes-vous ma Dame?
- Je suis la Vierge Sainte Marie.
S'approchant alors de la fillette, Elle lui saisit la main droite, qu'Elle serre les doigts se retrouvent «comme collés, le pouce formant une croix avec les autres» . Quant à son bras, il est «endolori et comme sec jusqu'au coude».
- Voilà, dit la Vierge : va pour qu'ils croient avec ce signe et avec ce que tu vas souffrir pour eux. Va à l'église, à la sortie de la Messe, montre-le à tous afin qu'ils croient ce que tu diras puisque tu portes ce signe.
C'est effectivement à la fin de la Messe que le prêtre la voit arriver en pleurs et s'agenouiller devant l'autel de Marie. Inés raconte tout publiquement. Tout le village examine sa main, sans pouvoir en desserrer les doigts. Certains déposent un baiser «sur le miracle».
«Le chapelain, le maire et tous les hommes bons du lieu, très dévots de ladite Dame Vierge Sainte Marie [...], suivis par tout le village en grande ferveur, portant des croix, des cierges et des bougies allumées [...] s'en furent en procession, déchaussés, avec les enfants [...] et Inés. Ils emmenèrent une Croix de bois pour la planter au lieu même où ladite Dame lui avait pris la main » attestent les chroniques.
Inés entend la Vierge l'appeler « Viens par ici. » On arrête la procession et on remet la Croix de bois à l'enfant qui s'écarte - pour aller avec la Vierge Marie, à sa droite : « Elles allaient à petits pas mais parvinrent, on ne sait comment, en un éclair » , au lieu du signe. Alors, Notre-Dame prend la Croix des mains d'Inés et s'agenouille contre le bois. Puis se levant, Elle la plante dans le sol « vers midi » et s'agenouille à nouveau, « le temps d'un psaume et demi » . Elle demande alors «Agenouille-toi, fille, face à la procession... On doit construire ici une église, qu'on doit appeler SainteMarie. Tu rentreras avec la procession. Avec quelques enfants innocents, tu resteras devant mon autel jusqu'à la nuit. On doit dire deux messes en mon honneur, à mon autel... Une fois ces messes dites, ils doivent t'emmener à Sainte-Marie-de-Guadalupe [en Estrémadure, Espagne, XIIIe siècle où tu apporteras quatre livres de cire. Tu y resteras deux jours. Par la prière, le signe sera défait et tu reviendras.»
La procession était maintenant parvenue sur les lieux où l'on trouva, accrochée à la Croix plantée par Marie, la petite Inés qui répéta le message. Remarquant de légères traces de pas, certains recueillirent pieusement un peu de cette terre sablonneuse. Puis laissant là quelques gaillards pour garder la Croix, la procession repartit pour l'église - où l'on fit tout ce que Marie avait demandé.
Dès le lundi 10, tous les villageois, qui avaient appelé ceux des bourgs voisins, commencèrent par repartir « en procession générale en honneur et révérence à la Très Sainte Vierge Marie jusqu'à sa Croix ». Comme le note finement le Père de Urrutia, ils prirent si au sérieux ce que nous appellerions aujourd'hui l'apparition présumée de la Vierge, qu'ils organisèrent, dès leur retour, le procès immédiat de l'affaire, dans l'église Saint-Andrés : en présence des autorités religieuses et civiles, notaires compris, qui rédigèrent les actes des déclarations des témoins. Puis ils partirent l'après-midi même, à dos d'âne et à cheval pour Guadalupe, à... 150 km, avec Inés, son père et quelques hommes. Quatre jours de voyage à l'époque. Au passage, la main paralysée d'Inés guérit un premier malade. Ils arrivèrent au Sanctuaire d'Estrémadure, le vendredi 14 à trois heures de l'après-midi. Alors à son apogée, le monastère comptait cent moines et n'était pas seulement un lieu de pèlerinage pour toute l'Europe et le Portugal, mais aussi l'hôpital le plus renommé et la meilleure école de médecine de l'époque. (Premier lieu au monde où l'on commença à pratiquer des autopsies, avec autorisation du Saint-Siège.)
Bons frères et médecins opinèrent que la main et le bras d'Inés devaient sûrement être malades depuis sa naissance. Première surprise, Inés ne reconnaît pas la statue de la Vierge de Guadalupe, mais une autre, plus petite « aussi blanche et aussi couverte d'or, comme elle lui était apparue et qui la regardait ». Les moines l'enferment alors à double tour dans une cellule.
Deuxième surprise, le lendemain matin: moines et médecins constatent qu'Inés a retrouvé l'usage de sa main. Comment ? Elle n'avait vu ni la Vierge ni personne. Comment le bras avait-il repris vie ? Et les doigts une position normale? Les moines reconnurent avec humilité « qu'ils n'en savaient rien ».
Sur le chemin du retour, lundi 17, l'un des voyageurs tombe malade : douleur au côté et forte fièvre (symptômes de la peste annoncée?). On demande à Inés de prier la Vierge afin qu'elle lui permette de rentrer chez lui. Douleurs et fièvres disparaissent et tous reviennent saufs à bon port. De nouveau à Cubas, le mercredi 19, Inés s'en retourne à La Ciroleda et se met en prières. Marie lui apparaît alors - ce devait être l'avant-dernière fois. La fillette demande:
- Dame, votre Seigneurie m'a dit que ma main ne se rouvrirait pas avant de rentrer ici. Pourquoi n'en fut-il pas ainsi ?
- Dans ta grande hâte à m'interroger, tu as mal compris. Car je t'ai envoyée pour cela, dans ma Maison de Guadalupe, afin que cela se résolve là-bas.
Puis à la demande d'un nouveau signe, La Vierge répond « Je leur donnerai ce signe... Bienheureux ceux qui le verront et croiront.»
Phrase étonnante et qui semble renvoyer, comme le note le Père de Urrutia, à Is 6, 10; Mt 13, 13-15 et Jn 12, 37-40. Le premier signe que donna la Vierge : la peste qui ne s'est pas déclarée, évitée grâce à la foi spontanée du village. Puis, au fil du temps, d'innombrables miracles dûment constatés et un sanctuaire toujours béni.
De nouveau, le vendredi 21 mars, nouvelle audition, à la demande des autorités religieuses de Tolède et de la région : vérification des faits de Cubas et de Guadalupe, rapports remis à l'Archevêque de Tolède, et aux Archiprêtres de Madrid et de Villescas.
Dès le 7 avril, A. Carrillo de Acuna, Archevêque de Tolède, Primat des Espagnes envoya une Lettre autorisant la construction de l'église demandée « là où est apparue NotreDame » en demandant aux deux archiprêtres de mener "avec diligence mémoires et informations supplémentaires... puisque nous entendons exécuter notre service pour Dieu Notre Seigneur."
Le 23 avril, vingt témoins furent ainsi entendus séparément, avec l'aide de « l'écrivain privé du Roy... et du notaire public de sa Cour ». Perdu et retrouvé, l'acte comprend 36 pages, de première main. Les notaires enregistrent des guérisons miraculeuses S'ils n'ont pu bénéficier des vérifications scientifiques dont dispose notre époque, les récits sous serment des huit premiers miracles furent rapportés par « le notaire apostolique et écrivain du Roy, notaire public en tous ses royaumes, Juan Gonzalez de Roa ».
Dès le 9 avril, une petite fille était tenu pour perdue. Ses parents demandent miséricorde à la Vierge et proposent de l'emmener sur les lieux, à 8 km, dans l'église déjà en construction, et de faire toute l'offrande possible : l'enfant guérit le 15.
Au cours des trois années suivantes, jusqu'en 1452, le notaire donne acte de trente-huit autres cas : guérisons de malades du coeur, des yeux, de muets, de ce qui ressemble à des hémiplégies et... de morts déjà en suaire qui se relèvent. Il cite également des libérations inexplicables de prisonniers et des rescapés d'accidents funestes tombé dans un puits profond, "un papillon blanc guide l'un d'eux vers la sortie, puis sur huit kilomètres" . Tous (ou leurs proches) ont invoqué «Sainte Marie de la Croix», "parce qu'ils avaient entendu parler des nombreux miracles qu'Elle accomplissait" - et effectué aussitôt les visites, dons et ex-voto promis.
A partir de 1452, un autre notaire, Pedro Sanchez de Boro, poursuit, n'inscrivant plus que les faits les plus remarquables : de véritables résurrections, à l'instar de Lazare.
Aujourd'hui, une source trouvée dans la cour du couvent, construit sur les lieux de l'apparition, jaillit, abondante, aux pieds de la statue de NotreDame de la Croix : on sait, par exemple, que son eau a rendu la vue à un aveugle.
La construction de la chapelle, "La Maison de la Vierge" et d'un ermitage, commencèrent immédiatement, dès 1449. A partir de 1464, un groupe de « Soeurs de la pénitence de Saint François » y vivait dans ce qu'on appelle alors le béguinage. Les traditions demeurent incertaines sur la destinée de la petite Inés. Devenue veuve, aurait-elle fini sa vie chez les Clarisses de Zamora? Il semble qu'elle ne soit pas entrée au béguinage, et qu'elle n'y soit pas morte. Alors la Vierge envoya, en 1496, une autre jeune fille de quinze ans, qui deviendra une abbesse célèbre: « la Sainte Juana » (Jeanne), lui révélant « qu'elle avait été choisie pour suppléer à la défection d'Inès ». Sous l'influence de cette grande abbesse charismatique - plus tard déclarée Vénérable -, le béguinage devint monastère. Lors de la réforme franciscaine du cardinal Cisneros, la communauté devint Tiers-Ordre, acceptant la clôture et une règle stricte. Depuis 1974, les religieuses sont des Clarisses.
Dès 1789, un père franciscain, Fray Joaquin Diaz Bernardo, chapelain du couvent, recopia les documents originels des procès ecclésiastiques, en triste état. Mais cette copie fut perdue lors des vicissitudes que subirent monastère et église : spoliés et à demi détruits par les troupes de Napoléon, à la fin du XVIIIe siècle, ils furent incendiés et rasés par les troupes anarcho-communistes en 1936 - qui assassinèrent huit religieuses. En partie reconstruits par le programme « Régions dévastées » , les Clarisses y reprirent leur vie communautaire dès 1943. Lors de l'année mariale 1988, la première pierre de la reconstruction du Sanctuaire fut posée; et la Dédicace fut célébrée le 5 mars 1994 par Mg, P.J. Perez Golfin, évêque de Getafe, qui l'éleva au rang de Sanctuaire marial diocésain. Quant à la copie perdue des documents d'époque, elle fut retrouvée par hasard par le Père de Urrutia, dans une maison particulière où elle avait dû être mise en sûreté. Le manuscrit est à présent confié de nouveau à la garde des Clarisses.

Sainte Juana

Juana Vasquez naquit en 1481, à 14 km de Cubas de la Sagra, dans une famille pratiquante et aisée. A l'âge de quatre ans, elle tomba d'une monture, restant «comme morte» : la Vierge lui apparut alors, avec son ange gardien, et la guérit. Quelques mois plus tard, nouvelle maladie. Comme toutes les femmes de sa région, sa mère promet de l'emmener à Sainte-Marie-de-la-Croix, d'y passer une nuit en vigile et de faire l'offrande du poids de sa fille, en cire. L'enfant guérit, voyant même l'Enfant Jésus dans l'Hostie, mais la mère mourut sans tenir sa promesse - qu'elle confia au père. II ne la tint pas non plus. II semble que ces faits aient réveillé dans le coeur de la jeune fille, non seulement le désir de se rendre au Sanctuaire, mais aussi celui d'y entrer comme religieuse. Alors qu'elle a quinze ans, son père prévoit et arrange un beau mariage avec un bon parti, un riche chevalier. Empruntant alors les vêtements de son cousin et ainsi habillée en homme, Jeanne s'enfuit de la maison paternelle vers le béguinage.Ses familiers s'en viennent l'y chercher mais doivent renoncer face à sa détermination : elle veut « se consacrer à Dieu et à Sainte Marie de la Croix ». Dès l'âge de vingt-deux ans, Soeur Jeanne de la Croix reçoit certains dons mystiques, sur lesquels elle demeure muette. Pourtant, à vingt-cinq ans, un singulier charisme de prédication devient manifeste - ce n'était pas évident puisque prêcher était alors interdit aux femmes - : elle tombait en extase, parlant jusqu'à 5 ou 7 heures d'affilée, sans lasser ses auditeurs. C'était parfois le Seigneur Lui-même qui parlait par sa bouche. Elle prêchera ainsi pendant treize ans, avec l'autorisation de ses supérieurs « pour fortifier la foi des simples». Sa renommée devint telle que l'on venait de loin pour la consulter: don Juan d'Autriche, le Cardinal Cisneros, l'Archevêque de Tolède et jusqu'à l'empereur Charles Quint. Quant à l'Inquisiteur du lieu, arrivé sévère, il repart convaincu. Soixante-douze de ses prédications furent recueillies dans le manuscrit Et Conorte (ce qui conforte l'âme), envoyé au Vatican lors de l'introduction de sa cause en béatification. Le moins surprenant n'est pas non plus qu'il fût dicté à une sueur... analphabète. Soeur puis Mère Jeanne de la Croix avaient aussi le don de lecture des consciences. Un Vendredi Saint, elle reçut les stigmates de la Passion.... (D'après Angeles Asurey - Chrétiens Magazine n° 118)

Pour en savoir plus:
Monasterio - Sanctuario de Santa Maria de la Cruz 28978 CUBAS DE LA SAGRA (Madrid) Tel 0034 692927141

Juana Vasques, à 15 ans
Juana Vasques, soeur, puis mère Jeanne de la Croix